lundi 13 juillet 2009

Twitter or not twitter ?


Après Msn et Facebook, la révolution Internet a accouché d’un nouveau venu : Twitter. Site de microblogging en vogue, il permet à tout un chacun d’envoyer gratuitement des messages quotidiens, n’excédant pas 140 caractères. Ouvert au public en juillet 2006, le site n’a cessé d’attirer de nouveaux adeptes. De l’anglais "tweets" (signifiant « gazouillis »), de 4 à 5 millions de personnes utiliseraient ce nouveau cyber-joujou. Quels sont les enjeux d'un tel déferlement d'informations et de réactions en chaîne, mis en ligne et repris par les JT du monde et autres médias? Que nous apprend vraiment Twitter sur notre société et ses médias?

Twitter, c’est hype
Ce qui explique son succès, c’est surtout l’interactivité qu’il crée entre ses utilisateurs. Chacun peut y parler de sa vie, de son emploi du temps ou de ses réflexions personnelles. De nombreuses personnalités ont fait le succès de ce site de microblogging. Elles sont de plus en plus nombreuses à se laisser séduire par cet outil de communication novateur et - ô combien - fashion : de Barack Obama à John McCain (tellement heureux d’avoir rencontré Kissinger qu’il s’empresse de le publier sur sa page) en passant par les plus hauts diplomates américains ou même… Ban Ki moon, l’actuel secrétaire des Nations Unies. Même le tout nouveau ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, en redemande : « Apprenez-moi à Twitter » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse pour l’ouverture des Francofolies.


Quand Twitter se tire dans les pattes
Facebook avait déjà soulevé le problème : la mise en ligne de sa vie peut entraîner des conséquences inattendues. Cambriolage à la suite d’une fête annoncée sur Facebook et autres tracas. Le 13 juillet dernier, le Figaro consacre un article à ce même phénomène, dû cette fois au site Twitter :

"Un Américain, Israel Hyman, avait innocemment annoncé son départ pour un long week-end à ses 2 000 « fans ». Et il s’est fait cambrioler tous les ordinateurs et caméras de sa société de podcast IzzyVideo.com. « Ma femme pense que c’est peut-être le hasard. Moi, j’ai mes doutes, car aucun appareil ménager n’a été volé. C’était très ciblé », déplore-t-il."


Cyber-militants et révolution numérique
Ces désagréments n’empêchent pas de pointer du doigt le rôle positif exercé par le nouveau site à la mode. La récente révolte iranienne en donne un exemple flagrant : alors que la presse – locale et étrangère – est muselée par le pouvoir en place, les sites internet – de Youtube à Twitter – se font le relais des évènements les plus déroutants. La mort de la jeune étudiante Neda Soltani, rapidement devenue en Occident une icône de ce soulèvement populaire, en est l’exemple. Les images de sa mort, prise en directe par des téléphones portables, ont fait le tour des télévisions et des sites de vidéos en ligne. Portables en main, le peuple se fait le porte drapeau d’un nouveau journalisme citoyen.

Le monde en 140 caractères
La concision demandée par la publication de mini articles sur Twitter a donc le mérite d’être percutant, comme un slogan qui saute aux yeux. Certains commentateurs de la vie politique – et journalistique – se félicitent d’un tel débordement de mots, de nouvelles et d’images, arguant que même en 140 caractères, tout peut être dit. Citons seulement l’article de Gideon Rachman paru dans le Financial Times et repris dans le Courrier International de cette semaine : pour lui, les plus grandes pensées, philosophique ou politique, se résument en une seule phrase, évidente. Twitter apparaît donc "comme le média idéal pour la politique et la philosophie". Vraiment ?
Ces évidences incongrues me font irrémédiablement penser à certains théoriciens de la critique des médias. Ces derniers dénoncent allègrement l’emprise de la vie privée, devenue la grille de lecture privilégiée des tribulations de la vie publique. Et ce phénomène est d'autant plus accentué suite à la multiplication d'espaces d'expression personnelle mis à disposition de tout un chacun (blog, Twitter, Facebook, etc.). Habermas retranscrit bien cette ambiguïté de la relation entre espace privé et public, ce sentimentalisme à l’égard des personnes – célèbres ou non - et le cynisme à l’égard des institutions, qui définit bien l’état actuel de la politique.

On ne peut pas non plus passer à côté de l’analyse éclairante d'Herbert Marcuse (1), dont la théorie peut être aisément appliquée à la situation actuelle : les médias immunisent les individus en devenant des vaccins contre la réflexion. Ils ne disent pas comment réfléchir sur un sujet en particulier mais empêchent de réfléchir, comme si le problème était le "virus "de la réflexion dont il faut nous vacciner. Marcuse parle notamment des sigles utilisés à outrance dans les articles mais jamais expliqués, ou encore le recours aux tirets et aux parenthèses, minorant des informations pourtant capitales pour comprendre l'enjeu d'une question. L’abréviation permet par exemple de prévenir toutes les questions non désirées. En bref, les médias nous disent ce à quoi il ne faut pas penser et non ce à quoi il faut penser. Pourquoi ? Si on développait l’acronyme, on serait obligé de se poser des questions sur les termes du sigle. Prenons la question de l’adhésion de la Turquie dans l’OTAN, littéralement, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord… un sigle lourd de signification et d'histoire, anéanti en quatre petites lettres. Plus on raccourcit les phrases, moins on permet au lecteur de comprendre et se poser des questions, l'évidence et la vérité tenant en 140 caractères, maximum, bien évidemment.


Journalisme populaire ou réactions de masse?
Plus largement, c’est la question du journalisme citoyen, réactif et populaire (au sens noble de « peuple ») qui se pose ici. On voit aujourd’hui dans les médias une multiplication d’émissions qui donnent la parole au peuple, dans le souci d’une plus grande démocratie participative : les JT proposent de plus en plus de micros-trottoir, les émissions politiques offrent aux spectateurs la possibilité d’interagir par texto ou internet, etc. Mais quid du recul critique ? Ce débat avait déjà posé problème lors de l'élection de 2002, où les émissions de pseudo débat populaire (dans l'esprit "La parole aux Français") ne laissaient la place à aucune réaction critique de la part de journalistes, absents des plateaux (PPDA n'étant évidemment pas compté dans cette dernière catégorie). La réaction - prise sur le vif - prend alors le pas sur l’opinion, non consensuelle mais réfléchie et contrebalancée. On est alors face à des médias où le flot quotidien de la conversation se déverse et où on n’y voit plus d’opinions, seulement des réactions.


Ces rappels théoriques et ces considérations actuelles ne doivent pas minorer les bénéfices apportés par l’invasion d’informations et de témoignages cruciaux d’une révolte en train de se faire à l’autre bout du monde ou même au coin de sa rue. Néanmoins, il est nécessaire de prendre le recul adéquat, de vérifier les sources et d'adopter un regard critique, aussi dérangeant et peu consensuel qu’il puisse être. Car comme le rappelle une maxime d'Adorno (2) : « se méfier de la société suppose qu’on se méfie aussi de son langage », qu'il tienne en 140 caractères ou non.


(1) Herbert MARCUSE, 1898-1969, philosophe, sociologue américain, membre de l'école de Francfort. Il publie Eros et Civilisation en 1955 puis L'homme unidimensionnel (1964). Ce dernier ouvrage illustre un certain type de critique langagière, largement développé dans les décennies successives. Moins intéressé par les thèmes d'actualité et leur hiérarchie dans les médias, Marcuse pose plutôt la question de la langue et de ses structures, qui empêchent les gens d'accéder à toute forme de critique et de recul.

(2) Theodor W. ADORNO, 1903-1969, philosophe, musicologue et sociologue allemand, appartenant au courant de l'Ecole de Francfort, qui publie avec Horkheimer La Dialectique de la Raison (1947) et développe la notion d'industrie culturelle.

2 commentaires:

  1. Cet article est décidément trés bon! Trés recherché, avec une analyse des effets positifs ou négatifs de twitter trés poussée et documentée.
    Clapclapclap!
    Dommage qu'il ne parraisse pas dans un quotidient...

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