mardi 14 juillet 2009

Le loto de la Justice

Vingt-six accusés, deux acquittés, une condamnation à perpétuité, voilà le bilan du procès du Gang des Barbares. Mené par Youssouf Fofana (photo), il a été l'instigateur du meurtre jugé antisémite d’Ilan Halimi en 2006. Une décision de justice contestée par la partie civile, mais revue et corrigée par la ministre de la justice, Michelle Alliot-Marie. L’antisémitisme est une nouvelle fois au cœur du procès.

Un verdict jugé insuffisant

Torturé durant trois semaines puis laissé pour mort, Ilan Halimi, jeune de confession juive, est décédé à la suite de ses blessures le 13 février 2006. Soulevant l’indignation de la communauté juive mais plus largement de l’opinion publique, son assassinat a remis sur la table la question de l’antisémitisme dont les manifestations semblent se multiplier depuis quelques années. Ouvert depuis avril 2009, le procès tant attendu a entraîné nombre de polémiques. Au cours de l’audience, l’attitude provocante ou carrément désinvolte du principal accusé a désarmé la famille d’Ilan Halimi, alors que dans le même temps, les parents de Youssof Fofana étaient stigmatisés à chaque sortie publique. C’est au tour du verdict, rendu ce week-end, de soulever des controverses. Les peines requises par la cour d'assises de Paris n’ont pas satisfait les proches de la victime. Youssouf Fofana, tête pensante et chef du "gang des barbares", a été condamné à la peine maximale, la prison à perpétuité avec 22 ans de sûreté. Ayant reconnu avoir porté seul les coups fatals envers Ilan Halimi, il écope de la peine la plus lourde en droit français. Ses deux « lieutenants », complices indispensables aux rouages du gang, Samir Aït Abdelmalek (30 ans) et Jean-Christophe Soumbou (23 ans) sont respectivement condamnés à 15 et 18 ans de réclusion. La jeune fille qui avait servi d'appât, mineure au moment des faits, a été condamnée à neuf ans de prison. Concernant les 24 autres accusés, la cour a prononcé des peines allant de six mois de prison avec sursis jusqu’à 18 ans de réclusion, sans compter les deux acquittements.

Le procès de l’antisémitisme ?

Hier, Maitre Szpiner, avocat de la mère d'Ilan Halimi, en a appelé à un nouveau procès, fustigeant la « bienveillance » du verdict énoncé. Une manifestation était prévue lundi soir pour demander un nouveau jugement. Pour Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives), il paraît clair qu’à partir d'un réquisitoire déjà jugé indulgent, « les sanctions ont été dans l'ensemble minorées ». A cela s’ajoute les motivations antisémites du meurtre, qui aurait été minoré tout au long du procès. Et de continuer « Hormis Fofana, les protagonistes ont assuré qu'ils n'étaient pas antisémites et certains ignorent probablement la signification de ce mot. Mais ils ont intériorisé, et cela revient au même, des stéréotypes féroces contre les Juifs forcément « riches » »(Le Figaro). M. Prasquier en appelle à un nouveau procès, public cette fois-ci, afin que la vérité soit connue de l'opinion publique et montre les rouages de l'antisémitisme latent mais toujours présent en France.

Une décision d'appel controversée

L'appel lancé a été entendu par la ministre de la Justice, qui a réagi dès sa sortie de la réunion des ministres. Face à cette agitation, Michelle Alliot-Marie a pris les devants, sans consultation préalable : « J'ai demandé au procureur général de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l'avocat général". Pas de quoi faire tiquer la toute nouvelle ministre. Certains murmurent que les bonnes relations entre les représentants de la communauté juive et l'ancienne ministre de l'intérieur, alors en charge des cultes, expliquent la promptitude de sa réaction. Ce serait pourtant aller trop loin dans des allégations fortuites (au risque d'être taxé d'antisémite), et sous-estimer des explications plus plausibles comme la condamnation des accusés à des peines trop minorées pour être justes.

Pourtant, cette décision d’appel, si elle satisfait la famille d’Ilan Halimi et les représentants de la communauté juive, laisse pantois l’Union Syndicale des Magistrats, qui la juge « inquiétante et dangereuse ». "Si la simple motivation, c'est que les peines prononcées sont inférieures de quelques années à ce qui a été requis, il va falloir faire appel dans les trois quarts des affaires pénales de cour d'assises", remarque Christophe Regnard, président du syndicat. Il se désole alors et fait un constat pour le moins fâcheux : "La politique a repris ses droits sur la justice".


Le procès de la barbarie et de l’antisémitisme n’a donc pas fini de faire couler l’encre. Tant pour ce qu’il représente sur la question du racisme et des préjugés que sur le rôle et l’état de la justice en France.

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