samedi 3 octobre 2009

Quand l'école gratuite, laïque et obligatoire devient... rémunérée


On connaissait déjà la théorie du bâton et de la carotte pour motiver les élèves... Maintenant, il faudra parler de cagnotte. Dès lundi, l'académie de Créteil mettra en place un système de rémunération afin d'endiguer l'absentéisme d'élèves récalcitrants. Finie l'école buissonnière, bienvenue dans l'école bling-bling.



Simple et efficace?
5% des élèves du second degré sont absents plus de quatre demi-journées par mois et 1% des 3,25 millions de collégiens français seraient déscolarisées. Des chiffres alarmants qui nécessitent de prendre des décisions rapides certes, mais efficaces. Dès demain, trois lycées professionnels expérimenteront le tout nouveau dispositif : les lycées Lino-Ventura en Seine-et-Marne, Gabriel Péri en Val-de-Marne et Alfred Costes en Seine-Saint-Denis, soit six classes. Le principe est assez simple : les élèves bénéficieront d'un pécule pouvant atteindre 2000 euros, financée par le Haut Commissaire à la Jeunesse. Principal moyen de faire enfler la cagnotte : être assidu (1 200 euros maximum). Restent les 800 euros, pouvant être acquis si la 'note de vie de classe' est plus que satisfaisante. Au total, une classe modèle pourrait accumuler jusqu'à 10 000 euros et financer ainsi des projets collectifs comme des voyages scolaires ou l'achat de matériel informatique.

Lutter contre l'absentéisme

Le remède est-il alors pire que le mal? Pas forcément. Contre les arguments fallacieux craignant une privatisation de l'effort scolaire, le recteur de l'Académie de Créteil se défend : loin de vouloir favoriser les comportements consuméristes et individualistes, il s'agit plutôt de motiver une action collective car "c'est la présence de tous qui contribue au succès de tous". Clair et simple, ce système pourrait-il être si efficace que le suggère le nouveau ministre de l'éducation, Luc Chatel? Contre les chantres d'une école moderne non sacrifiée sur l'autel du profit, le ministre répond clairement : il ne s'agit pas de payer les élèves mais de les inciter à "financer un projet collectif". Arguant que le système est pour le moment en expérimentation sur un nombre d'établissements limité, il assure sur France Info que la visée ultime du procédé reste la lutte contre l'absentéisme. Exit les allocations familiales sucrées pour les parents d'élèves trop de fois absents. Cette fois, on s'attaque au coeur de la cible : les élèves.


La culture du dollar contre la douleur de l'école

Préjuger que l'élève est avant tout motivé par une visée pécuniaire dérange nombre de spécialistes du milieu scolaire. L'Association SOS Education stigmatise une décision "immorale", "véritable camouflet aux professeurs". Il y a comme l'impression d'avoir à se justifier d'être là, assis à son bureau et d'enseigner des matières inutiles comme l'histoire ou le français. Jusqu'à la branche extrême de la vie politique, on dénonce cette nouvelle lubie gouvernementale : Marine Lepen parle de la "dernière bouffonnerie de Sarkozy". Quant à la FCPE, elle juge que cette mesure entraînera à terme une "perversion du sens de l'école et des objectifs de l'éducation nationale". Dans le Parisien, le sociologue de l'éducation Philippe Mérieu s'insurge contre l'amalgame que provoque un système de rémunération : la rétribution symbolique de l'école (apprentissage, savoirs, réseau social, discipline aussi) glisse dangereusement vers une rétribution financière, faisant oublier que l'école peut être intéressante par nature. "Le côté collectif de la cagnotte, c'est un peu l'inverse de la punition collective, mais avec les mêmes risques d'effet de groupe, de règlements de compte", commente Philippe Meirieu. Car si un élève ne veut pas rentrer dans le système rétributif, il pénalise le reste de sa classe, pouvant subir des pressions de la part de ses camarades.
Que faire?
Mais pour la plupart de ces intervenants, d'autres pistes sont préférables mais une même idée se dégage : l'école doit revoir sa copie, professeurs et élèves inclus. Voilà quelques maigres idées : intéresser les élèves au contenu des cours, faire comprendre l'utilité de l'école au-delà du simple bulletin (de notes, et non de paie), mieux former des professeurs parfois désemparés, développer les méthodes d'apprentissage alternatives et impliquer le monde extérieur à ce lieu étriqué et parfois réducteur que peut être - paradoxalement - l'école. Bref, donner enfin à l'école toute l'envergure de sa mission.


Au-delà de ces considérations, le problème de ce type d'initiative réside dans le simple fait que venir à l'école n'est pas suffisant en soi, encore faut-il y travailler correctement. Alors à quand un vrai salaire pour les élèves? Dix euros le commentaire de texte, 8 pour l'exo de maths. Eux qui s'arrogent presque chaque année un droit de grève, il faudrait apprendre aux élèves qu'à chaque droit, correspond toujours... des devoirs!