Alors que les Y'a bon awards ont été remis aux "meilleurs" racistes de l'année (citons seulement Pascal Sevran, Alain Finkielkraut ou encore Yann Rioufol), le commissaire à la Diversité et à l’égalité des chances, Yazid Sabeg (photo), propose la mise en place de statistiques ethniques afin de mesurer la diversité et les discriminations en France. C’est une initiative propice à l’ouverture d'un débat nécessaire mais houleux, dans une France qui sort à peine d’une crise en Guadeloupe où la question raciale est venue renforcer les tensions sociales.
Une proposition polémique
Le nouveau commissaire souhaite proposer rapidement un projet de loi au Parlement visant à rendre « licite la mesure de la diversité ». Cette proposition fait écho aux déclarations de Nicolas Sarkozy en décembre 2008 lors d'une conférence à Palaiseau, où il appelait de ses vœux la création « d’outils statistiques » afin « de mesurer la diversité en France, d’identifier précisément ses retards et mesurer ses progrès ». Pour Yazid Sabeg, ces statistiques ethniques seraient une « photographie » de la France, prise dans toute sa diversité, et permettrait de mesurer l’ampleur et la nature des discriminations afin de mieux les combattre. Pour autant, il ne prévoit pas de classer les personnes interrogées dans des catégories ethno-raciales comme aux Etats-Unis mais de les consulter sur leur sentiment «d’appartenance à une communauté». Les deux priorités du commissaire portent sur l’éducation et l’emploi des jeunes, en rendant par exemple moins discriminant les concours aux grandes écoles et en facilitant l’accès des jeunes au système de formation en alternance. Déjà mises en place aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne, l’évocation même de statistiques ethniques fait d’ores et déjà polémique en France, où la question des minorités reste sensible.
Une France divisée
Dans un sondage publié dans Le Parisien dimanche dernier, 55% de Français jugent que la mise en place de statistiques ethniques ne serait pas « efficace » pour lutter contre le racisme et les discriminations. Le président de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité) s’oppose à tout découpage de la France en « catégories ethno-raciales », comme il le souligne dans son récent ouvrage Les discriminations en France (Ed. Robert Laffont). Au sein même du gouvernement, certains ministres ne sont pas du même avis. Pour Fadela Amara, secrétaire d’Etat chargée de la politique de la vie, "les statistiques ethniques, la discrimination positive, les quotas, sont une caricature. Notre République ne doit pas devenir une mosaïque de communautés. Plus personne ne doit porter l'étoile jaune". De concert, la secrétaire d’Etat, SOS Racisme et l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) ont renouvelé leur opposition catégorique aux statistiques ethniques lors des Premières assises nationales de lutte contre les Préjugés. Pour la philosophe Elisabeth Badinter, la catégorisation de la population selon des critères raciaux ou communautaires ne serviraient qu’à fragmenter encore plus la France, plutôt qu’à l’unifier. Les statistiques pointeraient du doigt les différences identitaires au sein d’une même population, qui en temps de crise ont déjà tendance à s’exacerber.
Les premières réactions semblent donc vivement hostiles à ce projet. Toutefois, s’inscrivant en faux contre cette tendance, le CRAN soutient le projet du commissaire à la Diversité. D’autres se prononcent à demi-mot, à l'image de Jean-François Copé, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, qui se déclare «très hésitant sur cette question».
Une procédure toujours illicite
Déjà en novembre 2007, le Conseil constitutionnel avait censuré l'article de la loi sur l'immigration relatif aux statistiques ethniques : la mesure des origines peut porter sur des « données objectives », mais ne saurait en aucun cas « sans méconnaître l'article 1 de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race ». Proclamée « une et indivisible », la République française n’est pour l’instant pas compatible avec ce genre de statistiques ethno-raciales. A ce dispositif légal, s’ajoute la loi Informatique et libertés de 1978 qui prévoit huit cas (anonymat, consentement exprès), dans lesquels le recueil de données ethniques est autorisé. Toutefois, la collecte de "données sensibles" (sur les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou de l’appartenance syndicale des personnes ou des données relatives à la santé ou la vie sexuelle) reste aujourd'hui fortement encadrée.
La députée George Paul-Langevin, élue parisienne et originaire des Antilles, a co-signé la proposition de loi.
Le 19 février dernier, à l'Assemblée nationale, le groupe SRC (PS, PRG, divers gauche) a proposé une loi visant à "lutter contre les discriminations liées à l'origine, réelle ou supposée". Les députés socialistes se proposaient d'autoriser des études approfondies permettant le recueil de "données sensibles", y compris le "ressenti d'appartenance" à une communauté, pourvu qu'elles soient encadrées de "nombreuses garanties". Elles seraient notamment fondées sur l'anonymat, le volontariat et l'auto-déclaration (la personne se définit elle-même sans cocher de case préalablement inscrite). La loi prévoit aussi une peine d'exclusion des marchés publics pour les entreprises trop discriminantes. Sans susciter de réel débat, ce projet de loi a été rejeté par la majorité qui a préféré émettre des réserves et attendre le compte-rendu de la Commission Sabeg.
A l’heure actuelle, aucun projet de loi gouvernemental n’est donc à l'ordre du jour et nous n’en sommes qu’au stade des propositions. Reste à réfléchir sur la nature concrète et la forme que prendront ces statistiques, afin d’éviter toute dérive et tout risque lié à la création de fichiers personnels des individus. Alors que le nombre d’actes antisémites a grimpé au début de l’année, que les discriminations à l’emploi et au logement persistent, la lutte contre les inégalités devient une priorité sociale. La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non mesurer ces inégalités (car comment lutter contre un ennemi qu’on ne connaît ?), mais de comprendre quel type de statistiques mettre en place, qui ne heurterait aucune sensibilité et ne dériverait pas vers un fichage des individus ou la mise en place de quotas discriminatoires. C'est donc une question qui mérite réflexion avant d'être catégoriquement mise au placard. Il est peu probable que les discriminations disparaissent d'elles-mêmes, surtout si on continue à fermer les yeux sur leur réalité.