samedi 3 juillet 2010

Publicités: le choc, c'est chic


Choquant, atroce, horrible. Ce sont les premiers mots qui viennent à l'esprit après le visionnage du dernier clip de prévention concocté par la Sécurité Routière. «Insoutenable», nom de ce film choc de cinq minutes, porte bien son nom. Araignée et scorpion pour figurer le sida, fumeur assimilé à un esclave, autant de récentes pub pour des grandes causes qui ont fait leur petit effet, polémique à la clé.
A tel point qu'en janvier 2009, le conseil d'Ethique Publicitaire a rendu un avis défavorable à l'encontre de ces pubs trash. Leur grief? «Dénoncer des actes intolérables ne justifie pas de les montrer avec toute leur brutalité». Dans une société où il faut choquer pour convaincre, ces publicités hyper réalistes vont de plus en plus loin.
Sortie mardi sur le net, la nouvelle campagne de publicité de la Sécurité routière innove en la matière. Elle suit du début à la fin un accident de la route: de la soirée bien arrosée et des jeux entre amis, jusqu'à la nouvelle annoncée en pleine nuit à une mère qui sourit pour cacher son désespoir, en passant par l'accident et la pénible tâche des secouristes. «Ce qui est nouveau et qui touche les gens, c'est de voir la réaction des gens qui survivent à l'accident» analyse Karine Berthelot-Guiet, professeur au Celsa et responsable du master Marketing-Publicité. «L'usage du story-telling c'est-à-dire raconter une histoire, favorise l'identification» rajoute la spécialiste. D'où la sensation de malaise, presque d'angoisse, qui vous prend lorsqu'on regarde le clip.


Un tournant dans les années 80
Digne des meilleurs séries télé du moment, savant mélange de 24 Heures Chrono et de bons épisodes d'Urgence, «Insoutenable» rivalise d'esthétisme et de maîtrise technique, dans la lignée de la campagne précédente «Juste un peu».
Pour Amélie Gastaut, conservatrice au Musée des arts décoratifs et de la publicité, ce sont les années 80 qui ont marqué un tournant dans les stratégies médiatiques des associations. Des illustrations sages et policées de Savignac, on passe aux affiches marquantes d'Action contre la Faim, montrant Leïla, jeune Africaine affamée qui grâce à 100 francs retrouve le sourire et la santé. Auparavant monopole des graphistes, les publicités sont désormais produites par des agences spécialisées. «Aujourd'hui, le discours est plus choc et direct, les pubs se sont endurcies» raconte la responsable du musée. Jusqu'en mai dernier, elle présentait une exposition de plus de 150 affiches sur le thème «La publicité au secours des grandes causes». Signe des temps, l'exposition était interdite aux moins de huit ans.


Aux grands maux, les grands remèdes
L'utilisation de la «victime humanitaire» est devenue un poncif pour les grandes causes, jouant sur l'émotion et la culpabilité du spectateur. Mais les campagnes actuelles jonglent avec plusieurs registres, selon le sujet et la cible à atteindre. Si une association communique sur le nécessaire port du préservatif, l'humour sera privilégié. Comme dans la récente pub de l'association Prévention Routière (avec Assureurs Prévention). On y voit un professeur fantasque réaliser des expériences sur des pastèques, des poulets (déjà morts) ou une orange, pour démontrer l'utilité du port du casque et du blouson. Des clips ludiques qui tranchent avec des affiches plus choquantes. Même l'écologie se met au vert: Greenpeace a choqué avec sa campagne contre les OGM, montrant une personne qui s'empale sur un épi de maïs transgénique. Le slogan? «Jusqu'où rendront-ils les cultures plus résistantes?».


Choquer pour exister
Quand le sujet devient sérieux, portant sur les conséquences d'un comportement à risque, les images doivent être plus graves. C'est ce que souligne Michèle Merli, déléguée interministérielle à la Sécurité Routière, à propos du clip «Insoutenable»: «il nous faut organiser des campagnes sur toute la gamme possible, pour toucher toutes les catégories de personnes qui utilisent la voie publique». Mais l'efficacité de ces publicités est-elle au rendez-vous? «Le clip fait confiance à l'intelligence, parce qu'il prête à penser» se défend-elle, alléguant que selon les tests de la Sécurité routière, le clip reste longtemps à l'esprit de ceux qui l'ont visionné, des mois voire des années.
Un argument soutenu par Marco de la Fuente, vice-président de BDDP&Fils, l'agence de publicité qui a notamment propulsé sur le devant de la scène l'association Droit des Non Fumeurs. En cause, une affiche sulfureuse assimilant l'acte de fumer à une fellation. «Si le message n'est pas fort, il est vain, tombant dans le tonneau des danaïdes des messages publicitaires en tout genre», explique le responsable de l'agence.


Une violence banalisée
Face à cette rhétorique, des instances comme l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) sont plus sceptiques. Si Stéphane Martin, président de l'ARPP, n'a pas constaté une inflation des plaintes pour les pubs à caractère violent, «utiliser une image forte et dramatique peut aller à l'encontre du message initial voire causer un rejet de toute ou partie de la population».
Ce que confirme le Conseil d'éthique publicitiaire, présidé par le sociologue Dominique Wolton, dans un arrêt du 9 janvier 2009. Banalisées et légitimées par de grandes causes, les images choquantes peuvent devenir attirantes pour certains ou traumatisantes pour d'autres, notamment le public le plus jeune. Même si un clip comme «Insoutenable» est uniquement visible sur internet, on sait que les jeunes maîtrisent de plus en plus tôt l'outil internet et ses multiples usages.
Une attaque qui ne fait pas mouche auprès des publicitaires. Marco de la Fuente, de BDDP&fils, est catégorique : «On est tous prompt à attaquer la pub car elle est jugée trop violente ou sexy, mais ce n'est rien comparé à tout ce que les jeunes voient déjà dans les séries, provocantes ou morbides». Un constat que partage Karine Berthelot-Guiet, du Celsa: «Dans une génération où les jeunes regardent sans sourciller des images sanguinolentes et dures, la capacité à encaisser des images choc se déplace».
Si on les trouve «choquants, horribles, atroces, gores», ces spots de plus en plus fréquents posent la question de la banalisation de la violence dans une société où elle est partout présente, notamment chez les jeunes visés, que ce soit dans les films ou dans les vidéos circulant sur internet. Qui n'attend pas avec impatience la sortie de Saw VII, ou n'a pas osé regarder Two Girls One Cup, vidéo scatophile qui fait l'objet de paris en soirées («jusqu'où tu vas être capable de regarder sans vomir?»). Comme si finalement la pub n'était ni pire ni meilleure que la société.


Article écrit avec Aline Bontemps, paru sur Libération.fr le 9 juin 2010 (photo Sécurité Routière)

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