Le football est aujourd’hui régulièrement encensé pour ses vertus éducatives et d’intégration. Pourtant, violences, racisme, homophobie et dérapages continuent de gangrener le sport le plus populaire de France. Du coup de tête de Zidane aux violences dans les équipes amateur, le foot est-il devenu un jeu dangereux ?
« Tous les dimanches, c'est la même chose. On ne sait jamais si le joueur en face ne va pas te frapper ». Pour Benjamin, 24 ans, attaquant de l’US Veynes (Hautes-Alpes), le climat de violence dans le foot amateur fait partie du quotidien. « Il m'est arrivé à plusieurs reprises de me faire insulter de « tapette » ou de « pédé » juste parce que ma coupe de cheveux était un peu hors norme ».
Des violences sur le terrain…
Un coup de tête par-ci, un coup de couteau par là, un pied dans les parties génitales ou des propos racistes, les agressions physiques ou verbales se multiplient. Si les violences dans le foot professionnel sont médiatisées – de Zidane à Patrick Viera –, les dérapages en équipe amateur restent trop souvent dans l’ombre de leurs aînés.
Dans son rapport établi en août 2009, l’Observatoire des Comportements de la Fédération Française de Football (FFF) compte entre 1,6 et 1,8% de matchs amateurs à incidents, soit 16 000 rencontres sur un total d’un million joué par saison. Un chiffre en augmentation de 10 % par rapport à l’an passé. Victimes en première ligne, les arbitres disent leur ras-le-bol face à ces agressions répétées. Après la ligue des Deux-Sèvres en 2005 ou celle du Centre Ouest en 2009, ce sont les arbitres hauts pyrénéens qui jettent l’éponge et menacent de boycotter les prochains matchs. Une grève du sifflet plutôt rare dans le métier.
Et dans les gradins
Mais la violence n’est pas l’apanage des joueurs, amateurs ou professionnels. Dans les gradins, les supporters ne sont pas en reste. 36,3% : c’est l’augmentation du nombre d’incidents aux abords et dans les stades lors des matchs de Ligue 1 par rapport à 2008, selon un rapport de l'Observatoire de la sécurité publié à la mi-saison dernière. On se souvient de la banderole insultante contre les Ch’tis déployée lors de la finale de la Coupe de la Ligue opposant le PSG au RC Lens ou des cris de singe à l’encontre de joueurs d’origine africaine.
Mais il y a du changement dans l’air : les dérapages ne sont plus le privilège des grands clubs de supporters. 325 sièges arrachés à Grenoble, sept interpellations et 320 agents des forces de l’ordre pour un derby rhônalpin entre le GF38 et Saint-Etienne en janvier dernier. Le bilan est lourd avec un match suspendu pendant quinze minutes, des rixes entre supporters pour une rencontre à haut risque de niveau trois, le degré maximum. Les exemples sont légion et ternissent l’image d’un football déjà amoché par les dérapages à répétition des stars du ballon rond.
« Le sport n’est pas un remède miracle »
Pour enrayer les violences, l’Observatoire des Comportements a misé sur une campagne de sensibilisation, avec feu Philippe Seguin en invité vedette et un slogan en béton : « Le frappe, c’est dans le ballon ». Résultat : une baisse de 15 % d’arbitres agressés. « C’est une campagne fiable et efficace mais pas suffisante. On va maintenant développer un réseau Foot, dans l’esprit Facebook, pour toucher directement les licenciés » raconte Patrick Wincke, responsable de l’Observatoire.
Pour enrayer les violences, l’Observatoire des Comportements a misé sur une campagne de sensibilisation, avec feu Philippe Seguin en invité vedette et un slogan en béton : « Le frappe, c’est dans le ballon ». Résultat : une baisse de 15 % d’arbitres agressés. « C’est une campagne fiable et efficace mais pas suffisante. On va maintenant développer un réseau Foot, dans l’esprit Facebook, pour toucher directement les licenciés » raconte Patrick Wincke, responsable de l’Observatoire.
Pour certains sociologues, c’est au sport de changer de mentalité et de fonctionnement. De nature en quelque sorte. Contre ceux qui ont vu dans le football un modèle d’exemplarité et une thérapeutique pour pacifier les relations sociales et éduquer les jeunes, le retour de bâton est sévère. Chercheur en sciences sociales des sports à Strasbourg, Michel Koebel est clair : « Tout le monde parle d’intégration et d’éducation par le sport, les journalistes, les politiques, mais personne n’a jamais rien prouvé dans le domaine ». Le ton est donné. Il n’y aurait pas nécessairement de transfert des valeurs apprises par le sport dans la société. Ce n’est pas forcément le football en club qui apprend à un enfant à créer des règles ou encadrer ses comportements mais plutôt la pratique sportive, même auto-organisée, au pied d’un immeuble ou dans un champ abandonné. Pire, « la façon dont le sport est organisé génère des tensions. On essaie de dire que la violence est une dérive du sport. Mais ce qu’on refuse de voir, c’est que ça fait partie intégrante de la façon dont il est organisé, quand il est un affrontement spectacularisé » continue Michel Koebel. C’est pourquoi le sociologue, qui a également formé de jeunes animateurs, préconise plutôt des sports de coopération comme l’escalade, certes moins glamour et médiatique, pour sensibiliser les jeunes en difficulté. « Je ne dis pas qu’il n’y a aucun effet positif, mais faire croire aux gens que le sport est un remède miracle, qu’il possède des vertus intrinsèques ou serait intégrateur par nature comme on l’entend souvent dire, c’est un mensonge » conclut-il.
Une carence éducative dans le football
Plus insidieusement, c’est le visage du football qui semble avoir changé : pour le spécialiste des questions de violence dans le sport, Dominique Bodin, actuellement professeur de sociologie à Rennes II et à l’université de Madrid : « le sport n’est plus pratiqué comme un jeu c'est-à-dire un dérivatif où on apprend des valeurs éducatives comme le respect. On est dans celui de la rentabilisation et du résultat à tout prix ». Un football spectacle, glorifiant la performance individuelle, au détriment de l’esprit d’équipe et la morale sur le terrain. En témoigne la récente affaire de la main de Thierry Henry, faute non sifflée par l’arbitre qui a permis la qualification de l’équipe de France en Coupe du Monde, contre des joueurs irlandais, désabusés. Et le sociologue de conclure, en soupirant : « Il y a une réelle carence éducative dans le foot d’aujourd’hui, de la part des dirigeants qui sont un modèle pour les jeunes mais aussi des animateurs, qui manquent parfois de formation ».
Mais le football est-il responsable ou seulement symptomatique des tensions qui traversent la société française ? Pour le chercheur-associé à l’Institut Choiseul, Gaël Raballand*, « le football n’est pas meilleur ou moins bon que le reste de la société, c’est un miroir ». Le reflet d’une société où la violence éclate des bancs de l’école aux tribunes des stades.
*Auteur avec Jean-François Marteau de « Football, illustration d’un mal français », Revue Etudes, Octobre 2009 (Tome 411), p.331-340
Les arbitres voient rouge : 3 questions à...
Eric Douvillé, président de la Commission départementale d’arbitrage et co-président de l’Union Nationale des Arbitres de Football (UNAF) en Isère.
Quel est l’état des violences commises contre les arbitres ?
Ces dix dernières années, il y a eu 1 000 arbitres frappés. Par district, ça fait un arbitre par saison. C’est déjà énorme. On décompte les coups de poing, coups de tête, nez cassé et autres. Mais l’arbitre subit une violence verbale plus insidieuse, difficilement quantifiable. Parfois, quand on prend une claque sur un terrain, on ne fait pas de rapport. Alors le chiffre de 1 000 arbitres agressés est donc en deçà de la réalité.
Quel est l’impact sur le métier d’arbitre ?
J’ai arrêté l’arbitrage à 51 ans car je n’en pouvais plus, je me faisais insulter par des jeunes qui pouvaient être mes enfants. On a peur des représailles des joueurs ou des spectateurs. Cette violence a un autre effet négatif : les effectifs baissent d’année en année. Aujourd’hui on est à 300 arbitres. Il y a deux ans, on en comptait plus de 400.
Que faut-il faire pour limiter ces agressions ?
Je ne suis pas pour la répression mais la loi Lamour – qui protège les arbitres en leur donnant le statut de délégateur d’une mission de service public – a été efficace. On peut aussi faire un travail de sensibilisation au sein des clubs. Et puis il y a l’influence des médias, qui critiquent souvent le travail des arbitres. En amateur, on ne fait pas du foot spectacle mais du sport loisirs. Mais les gens font encore l’amalgame.
Crédits photo : FFF
Article paru dans le numéro 10 de Pigémagazine, média-école du master Journalisme de l'IEP de Grenoble